Laetitia Ky : “Je n'ai pas de genre, j'ai un sexe, et il est évidemment féminin”. 

On l’adore. Et comme elle vient de publier son livre “Love and Justice” traduit en français aux éditions EPA, c’était l’occasion de parler de Laetitia Ky, artiste prolifique et bourrée de talent. Entretien magique avec celle qui figure dans le Guiness Book des records pour être la personne ayant réalisé le plus de sauts à la corde avec ses propres cheveux.



Chère Laetitia, tu es une touche à tout : photographie, peinture, mode, cinéma... Comment te présenterais-tu en quelques mots ?

Je m'appelle Laetitia Ky, j'ai 26 ans. Je suis d'origine ivoirienne et je dirais que je suis une artiste pluridisciplinaire. J'ai toujours été touche-à-tout. Je suis passionné par énormément de choses et je ne pourrai pas me définir avec un seul art. Artiste pluridisciplinaire et la description parfaite. 


Comment décrirais-tu ton enfance et ton adolescence en quelques mots ? Peux-tu me raconter un souvenir particulièrement marquant qui entre en résonance avec la personne que tu es aujourd'hui ?

J'ai eu une enfance assez simple et joyeuse et une adolescence un peu plus compliquée qui tournait autour de mon anorexie mentale, mes complexes, mon anxiété chronique. 

C'est difficile pour moi de choisir un souvenir en particulier parce que j'ai l'impression que tout ce que j'ai vécu à participé à construire ce que je représente. Alors j'en choisirais un au hasard, et pas forcément le plus significatif ; un en rapport avec mon activisme. Après le divorce de mes parents, observer ma mère a énormément participé à construire la femme que je suis aujourd'hui, au-delà de mes expériences personnelles bien sûr. J'ai vu une femme qui allait au travail, qui gagnait de l'argent et qui veillait à ce que tous nos besoins à mes soeurs et à moi soient satisfaits. Elle endossait un rôle qui était supposé être endossé par un homme selon la société ivoirienne. Elle pourvoyait financièrement. Ça m'a très tôt montré clairement qu'en tant que femme, je pouvais accomplir ce que je voulais. Pas seulement ce que mon environnement voulait que j'accomplisse.


Comment en es-tu venue à l'idée de faire des sculptures capillaires ?

Je n'ai pas toujours eu une super relation avec mes cheveux. 

On m'a défrisé les cheveux très jeune, c'était comme ça à Abidjan. Je devais avoir 5 ans. Les parents ne connaissaient pas forcément les dangers de ce type de procédure. C'était la norme donc ils le faisaient, c'est tout. La routine, c'était défrisage, et tresses au fil ensuite.

Au collège, par compte, ça a changé. Les collèges publics en Côte d'Ivoire obligent les filles à se raser les cheveux. Selon eux, une femme qui garde, les cheveux longs aura du mal à se concentrer sur les études et sera trop concentrée sur la beauté. Et il y avait aussi des risques que de trop jolies filles avec de long cheveux séduisent et déconcentrent les professeurs et les élèves hommes… Quand j'étais plus jeune je m'en foutais un peu de mes cheveux...  avec cette nouvelle règle par contre, celle qui m'obligeait à me les raser, je me suis rendue compte que je les aimais et ça a été une période assez difficile.

J'ai eu le droit de les laisser repousser au lycée. J'ai commencé à m'amuser et à tester pleins de coiffures parce que enfin je retrouvais mes cheveux longs. Sauf qu’étant donné que j'étais plus grande, je les défrisais très souvent, toutes les trois semaines, (contrairement à ma mère qui me les défrisait tous les trois mois pour qu'ils restent forts) et je faisais des coiffures très agressives... En terminale je me suis retrouvée avec des cheveux extrêmement abîmés. Le coup de grâce a été donné par une coiffure extrêmement serrée : des tresses que j'ai fait en prenant une photo de Beyoncé comme exemple. La coiffeuse a tellement serré la base que quelques jours après m'être faite tresser, mes cheveux se détachaient de mon cuir chevelu et certaines tresses tombaient. J'ai du perdre environ un quart de ma chevelure et je n'avais plus rien sur les tempes. 

En cherchant des solutions pour faire repousser mes cheveux, grâce à Internet, je suis tombée sur la communauté naturelle afro-américaine. Ça a été un vrai déclic pour moi, et c'était la première fois de ma vie que je voyais des femmes noires qui laissaient pousser leurs cheveux naturels. Ça m'a poussé à me raser complètement la tête, et à arrêter le défrisage de façon définitive.

J'ai traversé énormément de hauts et de bas pour réapprendre à aimer ma texture naturelle. Pour m'encourager, je suivais sur les réseaux sociaux des comptes qui faisaient la promotion du cheveu africain et de l'esthétique africaine. Grâce à un de ses comptes, je suis tombée sur un album photo, de femmes africaines à l'époque pré coloniale avec des coiffures incroyables. Cet album photo a été le début de tout. C'est lui qui m'a poussé à vouloir expérimenter avec mes propres cheveux et à créer des sculptures.

Au départ, je créais des coiffures assez simples. Il n'y avait que mes amis et ma famille qui les voyaient sur Facebook. Le retour était très positif donc j'ai continué, j'essayais de créer des coiffures de plus en plus complexes. Ça a continué comme ça jusqu'à ce qu'une de mes séries de photos devienne virale : celle où j'ai coiffé mes cheveux en forme de mains. 

Au départ, c'était juste un jeu pour moi-même, une façon de m'exprimer, de créer du beau. Il n'y avait rien au-delà de l'esthétique. Mais après que cette série est devenue virale, j'ai commencé à recevoir des messages de femmes, noires surtout, qui me disaient que le fait de voir mes cheveux, mes coiffures, voir mon art, les aidait à se sentir mieux dans leur peau, à accepter leur héritage de femme noire et à se trouver belles. C'est là que j'ai pris conscience que ce que je faisais pouvait avoir du pouvoir. Dès lors, il n'était plus question pour moi de créer juste de jolies coiffures. Je voulais utiliser cette nouvelle arme pour m'exprimer sur des sujets qui me tiennent à cœur. C'est comme ça que j'ai commencé mon activisme avec mes sculptures. On était en 2017.

Parallèlement, j'avais arrêté mes études supérieures parce que je ne les aimais pas. J'étudiais le marketing et c'était loin d'être ce que je voulais faire de ma vie. J'ai toujours su que je voulais vivre de mon imagination, depuis toute petite... mais en Côte d'Ivoire être artiste n'est pas un vrai métier alors je n'avais pas le cran quand j'ai eu mon bac à 15 ans de dire à mes parents ce que je voulais faire.

Quand j’ai arrêté mes études, il m'a fallu beaucoup de temps avant de savoir réellement ce que je voulais faire de ma vie. Je n'avais pas d’idée précise de mes plans. Je savais juste ce que j'aimais et ce que je n'aimais pas. Voir les gens commencer à s'intéresser à mes sculptures capillaires, m'a donné une petite piste. Je me suis dit que ça pouvait être au point de départ pour créer quelque chose de significatif.

Ça a pris énormément de temps avant que ça ne devienne rentable. J'avais les likes, les commentaires, mais pas de vraies opportunités payées. C'était compliqué mais à force de travail et d'acharnement j'ai réussi à débloquer les bonnes opportunités. J'ai gagné en 2019 le concours Élite model look dans la catégorie influenceurs et c'est là que j'ai commencé à avoir de vrais collaborations qui m'ont rendue indépendante. Après ça, énormément de choses ont suivi. J’ai écrit un livre, je travaille avec une galerie d'art, et tous les jours de nouvelles opportunités dans pleins de domaines différents s'offrent à moi. 


Tu as choisis d'exprimer publiquement des positions critiques du genre : depuis combien de temps ? Pourquoi ? As-tu eu peur que cela ait des répercussions négatives sur ta carrière ? Est-ce le cas ? 

Je m'exprime publiquement depuis août 2022 parce que j'en avais marre du harcèlement constant que je subissais depuis plus de trois ans venant d’activistes du genre dès que je faisais une publication en rapport avec la biologie féminine. J'étais fatiguée d'avoir peur. Les répercussions sur ma carrière sont la raison pour laquelle je n'en ai pas parlé plus tôt et depuis que je me suis ouverte dessus, je n'ai plus collaboré avec une seule marque. En tous les cas, j'assume tout et je ne reviendrai pas en arrière. Je me concentre sur mes autres sources de revenu. 

La première fois que j'ai reçu de la haine de la part de transactivistes, c'était en 2019 lorsque j'ai coiffé mes cheveux en forme d'utérus qui fait un doigt d'honneur pour parler du droit à l'avortement. Dans cet l’article qui accompagnait la photo, j'ai utilisé le terme "femmes" pour aborder le problème et c'est là que j'ai découvert dans les commentaires que je n'étais pas assez inclusive. Les gens essayaient de me corriger en disant que ce n'était pas un problème de femme mais de personne. 

Oeuvres de Laëtitia Ky

J'ai essayé d'ignorer et de supprimer certains commentaires mais très rapidement j'ai reçu des messages pleins de colère expliquant à quel point on était déçu par moi et mon récent post sur l'avortement. J'ai juste choisi d'ignorer ces gens, de les bloquer et de continuer ma vie. 

Ensuite, toujours en 2019, j’ai sculpté mes cheveux en buste féminin avec les règles qui coulaient pour parler de mon amour pour ma biologie. Après des années à la détester à cause de l'oppression à laquelle elle m'exposait, la célébrer me faisait me sentir puissante. Les commentaires étaient sauvages. Et j'ai reçu une tonne de messages de personnes en colère parce que j'associais mon identité de femme à mon sexe dans le post. 

À un moment donné, j'ai voulu supprimer le post, mais un message d'une femme me remerciant d'avoir posté cela m'a encouragé à ne pas le supprimer. Beaucoup de discussions ont eu lieu sous ce post ce jour-là et c'est là que j'ai découvert le terme “TERF”. Je ne savais pas auparavant que pour avoir plaidé pour l'égalité des sexes et non des genres - ce qui est pertinent dans de nombreux endroits-, vous pourriez être cancelled. 

Beaucoup de gens essayaient en commentaire de me dire que la violence basée sur le sexe n'existe pas. J'étais choquée. 

Au cours de cette période, j'ai découvert la façon dont de nombreuses femmes étaient traitées pour la même chose : associer l'identité de femme au sexe. J'étais révoltée et je me sentais insultée par ce contexte. J'ai commencé à suivre JK Rowling et de nombreuses radfem sur Twitter, car elles étaient les seules à défendre les femmes avec honnêteté. Les seules à parler des oppressions basées sur le sexe. Je n'étais pas très confiante parce que je travaillais dur pour gagner ma vie avec mon art et être cancelled n'était pas une option.

À la fin de l’année 2019, j’ai gagné le concours d'Élite et j’ai été signée. C'était comme un rêve devenu réalité. Maintenant, je peux gagner ma vie avec mon métier. Je continue à publier et de temps en temps, certaines personnes apparaissent dans mes dm juste pour poser des questions telles que "quelle est votre opinion sur les femmes trans ?", sûrement à cause de mon post avec les règles dont j'ai parlé plus haut. 

Une fois, j'ai aimé un post où quelqu'un disait que pour le sport il devrait y avoir une catégorie pour les femmes trans et pour les femmes biologiques et quelqu'un est entré dans mes DM, avec une capture d'écran de mon like pour me dire qu'ils l'enverraient à mon management "élite" car c'était une preuve que j'étais transphobe. J'étais extrêmement terrifiée quand j'ai vu cela et j'ai supprimé mon "J'aime" du post en question. J'étais fraîchement signée et c'était ce que j'avais toujours voulu. Pendant de nombreuses années, j'ai travaillé pour pouvoir gagner ma vie avec ma créativité et pour un like, je perdrais tout ? Je savais à quel point la cancel culture était forte, en particulier aux États-Unis et elite vient de là-bas, donc je ne pouvais pas prendre de risque. J'avais vu de nombreux exemples de femmes maltraitées pour la même raison alors j'ai décidé de supprimer mon like et de bloquer la personne. 

Le 6 février 2020, j'ai publié un article sur les mutilations génitales féminines et encore une fois je l'ai traité comme une violence contre les femmes : même chose, le fait que j'ai utilisé " femme" était un problème. Je pouvais tout poster mais dès que la biologie était impliquée dans un problème et que je parlais de femmes, je recevais des messages de gens qui essayaient de "m'éduquer" comme ils aiment le dire. 

Aucun de leurs arguments n'a jamais eu de sens pour moi, mais j'étais ouverte à la discussion. Quand je posais une question parce que je ne comprenais pas leur point de vue, on me disait que la question était transphobe. Et ces questions étaient des choses comme : "C'est quoi se sentir femme concrètement ?" ou “Quels sont les éléments qui font d'une personne une femme ?”.

Décrire l'excision comme une violence faite aux hommes et aux femmes m'était extrêmement inconfortable. C'était inadmissible et un manque de respect envers toutes les femmes victimes de ça. Quelqu'un a même essayé de me dire que critiquer les mutilations genitales était raciste parce que cela faisait partie de la culture africaine et que je parlais d'un point de vue occidental. Il pensait que j'étais noire américaine, pas africaine, pas ivoirienne. J'ai été choquée de réaliser que certaines personnes iraient jusqu'à valider des pratiques aussi horribles juste pour faire avancer leur théorie. 

Une autre chose qui me rendait folle, c'est la façon dont mes likes, commentaires, reposts sont en permanence contrôlés pour être sûr que je "reste sur le droit chemin". Si j'aimais un truc en rapport avec Harry Potter qui n'a rien à voir avec le féminisme, on m'insultait sur Twitter par exemple. Je faisais très attention à ce qu'il fallait aimer, à ce qu'il ne fallait pas aimer parce etre cancel me faisait trop peur. Je travaillais avec quelques marques et je ne pouvais pas risquer de détruire ma réputation... 

En 2021, j'ai publié un article sur la liste des violences basées sur le sexe parce que j'en avais assez que les gens disent que cela n'existe pas et encore une fois, j'ai été insultée et traitée de transphobe. C'était une période et un sentiment très étranges. Essayer de rester fidèle à moi-même et essayer de réaliser mon rêve dans un monde où mon point de vue peut être interprété comme de la haine. Je voulais exprimer ce que je pensais mais en même temps ne pas perdre ma vie. Donc, je supprimais simplement les dm et les commentaires et je bloquais les gens. 

Et plus j'étais harcelée pour mes posts, plus je me sentais fatiguée, invalidée et réduite au silence. 

Une fois sur Tiktok un mec a fait une vidéo disant qu'il était "super hétéro". Cela signifie qu'il ne pouvait sortir qu'avec des femmes nées de sexe féminin. Il a dit qu'il était fatigué d'être appelé transphobe aussi pour ses limites personnelles et je lui ai apporté du soutien dans la section des commentaires sur le fait que tout le monde a le droit d'avoir des limites et des préférences ; dès que nous ne rabaissons pas les personnes qui ne sont pas incluses dans nos préférences, tout est ok. 

Cela a également attiré une armée qui a rempli ma section de commentaires sur mes vidéos Tiktok m'appelant "transphobe". La même chose s'est reproduit sur Facebook avec moi, affirmant que les lesbiennes avaient le droit de dire non aux pénis. Les gens exprimaient en commentaire à quel point j'étais ignoble d'être d'accord avec cela.  J'ai aussi reçu quelques fois des gens me demandant en dms quels étaient mes pronoms. C'est une question qui me dérange parce que je sens que mon identité de femme est niée quand on me pose cette question. J'ai été insultée quelques fois sur Tiktok et Instagram dm, quand à cette question je réponds "Je n'ai pas de genre, j'ai un sexe et il est évidemment féminin". 

Très récemment, j'ai souhaité un joyeux anniversaire à JK Rowling sur Twitter et c'est là que tout à explosé. Cela ne s'est pas produit le même jour, mais une semaine après. J'ai réalisé que plusieurs vidéos Tiktok avaient été faites sur moi me traitant de transphobe et disant aux gens de ne plus me suivre ou de me signaler. Sur Twitter c'était pire ! Plusieurs personnes m'insultaient en citant le tweet où je lui souhaitais un joyeux anniversaire : "nègre", "merde dégoûtante", "sale terf"... j’ai eu droit à tout. Certaines personnes m'ont souhaité un cancer de l'ovaire, m'ont dit de me suicider, m'ont dit que je méritais de tout perdre ou qu'elles souhaitaient que quelqu'un vole mon art.

Ça a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. J'ai dit stop. J'en avais marre. J'ai appelé ma sœur en pleurant et elle m'a dit de rester calme. Lorsque nous avons mis fin à l'appel, j'ai publié un coup de gueule partout et j'ai changé mes bio en ajoutant "rad fem” et “gender critical”.

Je n'avais plus peur de tout perdre.

Me mentir à moi même était pire.

C'était effrayant mais maintenant je me sens libérée.

Marguerite Stern

Marguerite Stern est co-fondatrice de Femelliste. Vous pouvez soutenir son travail sur Patreon.

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