Madeleine Pelletier (1874-1939) : pionnière de la lutte contre les stéréotypes de genre.
Elle brise les codes en portant ses cheveux courts et des pantalons. Elle ne sourit jamais sur les photos. On sent qu’elle est différente et qu’elle ne cherche pas à plaire. Au début du 20e siècle, elle ose être elle-même, elle se bat pour arracher sa place dans un monde d’hommes : celui de la médecine. Elle s’engage pour la santé des femmes, elle publie énormément de textes.
Aujourd’hui cette figure féministe subit le même phénomène de révisionnisme historique que Jeanne D’arc: parce qu’elle a refusé d’adopter le vestiaire féminin, Madeleine Pelletier est aujourd’hui parfois qualifiée de “trans” par certaines personnes qui n’ont apparemment pas compris le sens de sa démarche. Portrait d’une femme exceptionnelle.
l’enfance : brillante et rebelle.
Madeleine Pelletier nait à Paris le 18 mai 1874, dans une famille pauvre. Sa mère tient une boutique de fruits et légumes, son père est cocher de fiacre ; ensemble ils auront 12 enfants dont seuls deux survivront. Suite au départ du foyer de son frère ainé, elle vit en fille unique à partir de ses 10 ans. Son père, cloué dans un fauteuil suite à un accident vasculaire cérébral en 1878, passe beaucoup de temps à s’occuper d’elle. Il meurt alors qu’elle a 15 ans, la laissant seule avec sa mère maltraitante. Madeleine Pelletier ayant été nommée “Anne” comme sa mère à la naissance, choisit plus tard le prénom sous lequel nous la connaissons aujourd’hui afin de se distancier de cette dernière.
Elle suit ses études primaires dans un établissement catholique. Elle est brillante, mais elle est en souvent conflit avec les autres élèves et les soeurs qui sont chargées de son éducation. Dès l’âge de 13 ans, elle fait le mur le soir pour aller prendre part à des réunions féministes et anarchistes.
doctoresse en psychiatrie et engagée pour la santé des femmes.
En 1897, âgée de 23 ans, Madeleine Pelletier passe son baccalauréat en candidate libre et l’obtient avec mention très bien. En 1899, elle s’inscrit en médecine, domaine dans lequel les femmes sont très peu présentes. Elle étudie d’abord le rapport entre la taille du crâne et l’intelligence, cherchant à démontrer que l’intelligence d’un individu n’est pas proportionnelle à la taille de son crâne. Cela constitue ses premiers travaux féministes car à l’époque il est admis que les femmes seraient moins intelligentes que les hommes parce que la taille de leurs crânes est légèrement inférieure.
En 1906, elle choisit de se spécialiser en psychiatrie. Elle veut devenir interne dans un asile, mais l’entrée lui est refusée. Marguerite Durand qui tient le journal suffragette La Fronde publie plusieurs articles à son sujet, ce qui permet à Madeleine Pelletier d’obtenir un changement de la loi qui l’empêchait jusqu’alors d’accéder au poste qu’elle demandait. Cela lui donne une certaine visibilité dans le débat public. Elle devient la première femme interne en asile psychiatrique, puis la première femme médecin diplômée de psychiatrie en France.
Elle ouvre ensuite son propre cabinet médical dans un quartier pauvre de Paris, mais a une maigre patientèle car peu de personnes font confiance à une femme pour les soigner.
Pionnière dans la lutte contre les stéréotypes de genre.
Toute sa vie, Madeleine Pelletier refuse les stéréotypes de genre. Elle coupe ses cheveux courts et les coiffe en brosse. Elle porte des pantalons alors qu’une loi interdit ce vêtement aux femmes — ladite loi a finie par être abrogée très récemment, en 2013. À une époque où les femmes appartenaient davantage à leurs maris qu’à elles-mêmes, elle revendique sa virginité et son célibat : une posture extrêmement rare. Rappelons que les femmes ont obtenu le droit de vote en 1944, et le droit d’ouvrir leur propre compte en banque sans l’aval de leur mari en 1965.
Parce qu’elle refuse d’adopter le vestiaire féminin, Madeleine Pelletier est aujourd’hui parfois qualifiée de “trans” par certaines personnes qui n’ont apparemment pas compris le sens de sa démarche. Car elle l’affirme elle-même, si elle choisit de ne pas s’embarrasser de jupons et de corsets, ça n’est pas parce qu’elle appartient à la gente masculine, mais bien pour faire passer un message d’émancipation pour les femmes.
Dans son texte intitulé Les facteurs sociologiques de la psychologie féminine, daté de 1907, Madeleine Pelletier livre une fine analyse de ce que nous appelons aujourd’hui “le genre”, c’est-à-dire des différences de traitements réservés aux femmes et aux filles (qu’elle qualifie à plusieurs reprises de “femelles”) par rapport à leurs congénères garçons et hommes (qu’elle nomme aussi “mâles”). En ce sens — et parce qu’elle choisit de porter des vêtements traditionnellement réservés aux hommes — elle est une pionnière de la lutte contre les stéréotypes de genre.
Employer le terme “genre” pour parler du combat de Madeleine Pelletier est bien entendu anachronique. Ce terme a été popularisé par l’historienne Joan Wallach Scott dans un article intitulé “Genre : une catégorie utile d'analyse historique” (1988) . Mais il s’agit uniquement d’une question de formulation car le fond est très similaire : Joan Wallach Scott parle de “l’organisation sociale de la différence sexuelle”, Madeleine Pelletier affirme que “l’inégalité du traitement que reçoivent de leurs parents le petit garçon et la petite fille commence avant la naissance.”.
Très active dans le monde militant, elle reste un électron libre : voguant de groupes anarchistes au parti socialiste, collaborant avec des suffragistes (renommées suffragettes") comme Hubertine Auclert. Elle reste très critique des milieux féministes et anarchistes français et se sent davantage proche des suffragistes anglaises qui n’hésitent pas à casser des vitrines pour arracher leurs droits. Elle publie de très nombreux articles dans diverses revues, y compris “La suffragiste”, revue qu’elle a elle-même créée. Elle publie également des essais, des romans, des pièces de théâtre, afin de faire passer ses idées sous une forme plus poétique. Elle est également une excellente oratrice adorée par le public.
Madeleine Pelletier participe à des actions de terrain en faveur du droit de vote des femmes. Dans son cabinet médical, elle pratique des avortements clandestins.
Les derniers mois de sa vie : internée en asile pour avoir pratiqué un avortement clandestin.
En 1937 Madeleine Pelletier est victime d’un accident vasculaire cérébral entrainant une hémiplégie.
En 1939, elle est accusée d’avoir participé à pratiquer un avortement clandestin pour une adolescente de 13 ans violée par son frère. Alors que d’autres personnes reconnues coupables du même fait écopent de peines de prison, elle est internée de force sur décision de justice à l’hôpital psychiatrique de Ste-Anne, puis à Perray Vaucluse. Les rapports de l’époque la qualifient comme atteinte de “démence”, “entièrement irresponsable de ses actes”, et susceptible de causer “un trouble pour l’ordre public et de danger pour les personnes”. Les spécialistes s’accordent pour dire qu’elle a probablement été internée à cause de son engagement en faveur de l’avortement, son dossier médical étant relativement vide.
Celle qui disait souvent être malheureuse d’être en avance sur son temps l’a été jusqu’au bout : désignée comme folle parce qu’elle se battait pour l’émancipation des femmes. Celle qui s’est battue contre les internement abusifs lors de son internat en psychiatrie, a elle-même fini ses jours en asile contre son gré.
Madeleine Pelletier meurt d’une apoplexie cérébrale le 29 Décembre 1939 à l’âge de 65 ans.
Avant cela, elle a le temps de dicter ses mémoires à son amie Hélène Brion qui lui rend régulièrement visite — son hémiplégie l’avait rendu infirme au point qu’elle ne pouvait plus écrire.
Madeleine Pelletier meurt comme elle a vécu : avec la préoccupation de transmettre son énergie féministe au reste du monde, toujours engagée, jusqu’au bout, et dans une solitude sociale et affective manifeste.
Sources principales
Madeleine Pelletier (1874 – 1939), une femme d’avant-garde, Toute une vie, France Culture
Madeleine Pelletier — wikirouge